Sur les traces d’un Compagnon Forgeron
Richard Desvallières
Parisien la Bonne Volonté
1893 –1962
Depuis de nombreuses années, je m’intéresse à l’œuvre de Richard Desvallières, Parisien la Bonne Volonté, Compagnon Forgeron Mécanicien du Devoir. Cette passion, je la partage avec Bernard le Champagne. C’est lui qui a pris contact avec sa famille dès 2003 et nous allons, tous deux, essayer de vous présenter ce Compagnon ainsi que sa contribution à la ferronnerie du vingtième siècle.
En fait, ce Compagnon me poursuit depuis le début de mon Tour de France. Mais, comment l’ai-je connu ? Cela reste un peu flou dans ma mémoire. La porte de la Maison de Strasbourg, dont il créa le dessin, était, à l’époque, l’image la plus répandue sur le Tour de France et j’ai dû, pour ma part, découvrir son existence à la fondation de Coubertin.
Cependant, c’est surtout dans la Maison de Lyon, l’année suivante, que j’ai fait plus ample connaissance avec le travail et la personnalité de ce Compagnon, cette maison dont la salle à manger est imprégnée de ses œuvres et de son style, que ce soient par les lustres ou les cache-radiateurs.
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Cache radiateur de la maison de LYON ( ® André Jonchére ) |
En fait, c’est le Compagnon Levallois, Marcel le Normand, qui m’a fait réellement découvrir Richard Desvallières. Lors de mon travail de Réception, j’étais avec deux autres Aspirants. Les Compagnons Serruriers de Lyon nous demandèrent de réaliser, pour ce travail, les barres d’appui des fenêtres de la Maison des Compagnons, rue Nérard, en nous inspirant des œuvres et du style particulier de Richard Desvallières.
Le Compagnon Levallois nous dirigea et nous conseilla pour concevoir ce modeste ouvrage. Je regrette que Marcel le Normand nous ait quittés trop tôt, il aurait pu parler beaucoup mieux que moi de Parisien la Bonne Volonté car il l’avait connu alors qu’il était Aspirant à Lyon, à la fin de la guerre 1939-1945.
C’est Bernard qui prit les premiers contacts. Ecoutons-le :
« Il a fallu le congrès de Muizon, alors que j’étais en retraite, pour que je me dise : ‘’Cette fois, je m’arrête à Acy-le-Haut’’. Je n’y connaissais personne, mais je savais qu’il y existait plusieurs oeuvres de Richard Desvallières. Je suis donc allé à la pêche aux renseignements, avec une photo en noir et blanc, format 24x18, qui représentait une grille figurant une scène de vendanges.
Quand je suis arrivé au n° 10 de la rue de la Mairie, maison d’un ancien maire du village de Acy-le-Haut, Monsieur Gosset, mais maison aussi très réputée pour les oeuvres de Richard Desvallières qu’elle renferme, j’ai trouvé porte close. Un jour férié de mai, le village était désert. Apercevant dans une cour une dame âgée, je lui ai demandé où il fallait que je m’adresse pour trouver quelqu’un qui puisse me renseigner.
Je me croyais à La carte aux trésors, comme à la télé. Cette brave dame m’a indiqué le nom de Monsieur Rousselle, un autre ancien maire du village et demeurant à Acy-le-Bas. ‘’Voilà un nom, c’est mieux que rien ‘’, me suis-je dit !
J’étais avec mon épouse et, en contournant les rues étroites, j’ai aperçu un homme dans son verger, je lui ai demandé Monsieur Rousselle et lui ai montré la photo que j’avais avec moi. Il y a reconnu le travail de Richard Desvallières. Ouf ! J’avais une piste, et quelle piste ! Ce monsieur m’a alors indiqué précisément où habitait Monsieur Rousselle et, là, chance inouïe, à 200 mètres, j’apercevais le portail de la propriété ouvert, cela m’a rassuré.
Il n’est pas de Richard Desvallières. Une dame est venue à ma rencontre, je faisais connaissance avec Madame Rousselle, qui, vous ne me croirez pas, est la fille de Richard Desvallières !
A partir de ce moment, les choses allèrent très vite, je lui ai montré mon passeport et la raison pour laquelle j’étais venu à Acy. L’accueil de Madame Rousselle fut à la hauteur de l’intérêt que je portais à l’œuvre de son père.
Pour le numéro 10 de la rue de la Mairie, les propriétaires actuels de la maison, Monsieur et Madame Langaret, étant absents ce jour-là, leurs coordonnées furent prises et nous avons correspondu très rapidement. Depuis, j’y retourne à chaque fois que je remonte dans les Ardennes, mon pays d’origine. Grâce à cette étape à Acy-le-Haut, nous avons pu faire connaissance avec Richard Desvallières et reconstituer son parcours. »
C’est en juin dernier que Bernard et moi avons décidé de partir sur ses traces, en compagnie de nos épouses. Après avoir pris rendez-vous avec sa fille, Madame Rousselle, nous prenions la route pour Acy, ce charmant petit village de l’Aisne, près de Soissons.
Monsieur et Madame Rousselle nous ont accueillis très chaleureusement, répondant avec simplicité aux questions que nous leur posions au sujet de leur père et beau-père. Leurs réponses nous ont bien éclairés sur la personnalité de l’homme, de l’artiste et du forgeron. Ils nous ont aussi montré et permis de photographier quelques-unes de ses œuvres de ferronnerie ainsi que des peintures.
D’autres ouvrages de Richard Desvallières sont visibles à Acy-le-Haut, un jubé dans l’église située au centre du village et un mémorial en-dehors du village. Mais les éléments principaux se trouvent chez Monsieur et Madame Langaret qui nous accueillirent et nous permirent d’admirer et de photographier les différentes œuvres que recèlent cette maison ayant appartenu à Monsieur et Madame Gosset, oncle et tante de l’épouse de Richard Desvallières.
Notre voyage s’est poursuivi à Seine-Port, près de Melun, chez son fils Barthélemy. C’est là que Richard Desvallières a œuvré. Son ancien atelier a été transformé en habitation mais il y reste des traces de son activité. Son fils nous a confié quelques anecdotes de travail avec son père. Avant de quitter Seine-Port, nous sommes allés nous recueillir au cimetière, sur sa tombe. Son monument funéraire a été réalisé par un Compagnon passant Tailleur de Pierre, on y admire des gravures taillées dans de la pierre brute.
Notre périple s’est terminé en l’église Sainte-Agnès de Maisons-Alfort où se trouve l’une des œuvres-maîtresse de Richard Desvallières.
Nous allons maintenant essayer de vous faire découvrir l’homme et son œuvre afin que vous puissiez, vous aussi, vous arrêter lors d’un de vos voyages sur l’un des sites évoqués, sachant cependant qu’il reste beaucoup d’œuvres à découvrir.
Sa jeunesse
Richard Desvallières est né à la fin du dix-neuvième siècle, dans une famille comportant écrivains et artistes. Son père, Georges Desvallières, peintre, fut instruit par Elie Delaunay et influencé par Gustave Moreau, l’un des maîtres du Symbolisme. Il fut aussi créateur après la Première Guerre mondiale, avec Maurice Denis, des Ateliers d’Art Sacré. Son grand-père, Ernest Legouvé, écrivain et académicien, était l’auteur, avec Eugène Scribe, d’un succès théâtral de l’époque « Adrienne Lecouvreur ».
Ernest Legouvé était un homme d’influence rassemblant autour de lui, dans ses salons de la rue Saint-Marc à Paris ou dans sa propriété de Seine-Port, les esprits brillants de son époque. Des écrivains, des musiciens, des peintres.
Dans sa jeunesse, le grand-père eut une grande influence sur le petit-fils. Jean Bernard, La Fidélité d’Argenteuil, après la disparition de Richard, devait en faire l’éloge, dont voici un extrait (Compagnonnage, mars 1962) :
« Né d’une famille distinguée, il avait tout enfant reçu de fortes empreintes. Tout d’abord, celle de son grand-père, Ernest Legouvé. La compagnie du vieillard et de l’enfant est une des rencontres fertiles dont notre société actuelle, comme de bien d’autres grâces, se prive inconsidérément. Dans la propriété de Seine-Port, Ernest Legouvé et son petit-fils allaient cheminant et causant, l’un témoin d’une époque révolue, mais porteur de tout un savoir-vivre, l’autre interrogeant et écoutant : il paraît que cet échange par-delà les générations eut une pénétrante influence sur le jeune Richard.
Son père, Georges Desvallières, homme étonnant, grand peintre et aussi grand caractère, lui avait également laissé sa marque, qui semblait s’affirmer encore davantage dans les dernières années de la vie de Richard Desvallières. Et aussi la guerre de 1914-1918, qu’il avait traversé tout au long, partant comme simple soldat, revenant capitaine après deux années passées dans les chars, où il avait gagné la Légion d’honneur. Le connaissant tel qu’il était, il avait dû y dépenser des trésors d’amitié pour les hommes. »
C’est aussi chez son grand-père Legouvé qu’il découvrit la forge. Dans le parc, en s’intéressant au travail du jardinier, ce dernier devant sans doute reforger le tranchant de ses outils et peut-être aussi en fabriquer de nouveaux ? Richard devait avoir, à cette époque, environ treize ou quatorze ans. Cela l’intéressa tant qu’il commença à forger. Un peu plus tard, son père lui installa une forge dans le jardin de Seine-Port afin qu’il fasse ses premières expériences en ce domaine.
Ses enfants nous ont confié qu’il s’était fait embaucher chez un serrurier forgeron de la région pendant quelques mois, il dut y apprendre ce qui lui était nécessaire pour développer son art. Il dessinait aussi beaucoup, tous ses travaux ont été dessinés au
fusain sur de grands rouleaux de papier avant d’être réalisés. Nous pensons que, de 1908 à 1914, il continua à se perfectionner tout en réalisant ses premiers travaux, souvent pour ses proches. Il réalisa aussi une paire de chenets, qu’il devait présenter au Salon d’automne de Paris, en 1912.
Son gendre, Monsieur Rousselle, nous a confié ce témoignage concernant sa participation à la Première Guerre mondiale : « En 1914, dès le début de la guerre, il a été mobilisé dans la cavalerie montée, puis dans les chars. En 1917, il étrenna les tout premiers chars et fut parmi les rescapés des terribles combats de Berry-au-Bac, dans l’Aisne, au sud du célèbre Chemin des Dames, à l’issue desquels, sorti de son char détruit, il réussit par miracle à retraverser, en rampant sous un déluge de feu, les lignes allemandes.
En juin 1918, toujours dans les chars, il a participé en première ligne à la contre-offensive -celle dont la suite fut décisive- lancée par le général Mangin, à partir de la forêt de Villers-Cotterêt, en direction de Soissons ; il m’a montré lui-même ses lieux de passage de l’époque (très proches de notre domicile de Acy). Pour mémoire, son oncle, le général Pierre des Vallières avait été tué le 24 mai précédent, à Chavigny (6 km de Soissons), et sa division, luttant à 1 contre 4, anéantie lors de la dernière grande offensive allemande qui avait précédé. »
Outre la présence à Acy de Monsieur et Madame Gosset, bien des souvenirs profonds attachaient, comme on le voit, Richard Desvallières à ces terres de l’Aisne. Son comportement durant les combats ci-dessus lui avait valu, bien entendu, la Croix de Guerre, à laquelle était venue s’ajouter la Légion d’honneur.
L’artiste, son œuvre
Richard Desvallières, en rentrant de la guerre, reprit son atelier et sa forge. Son père étant le fondateur, avec Maurice Denis, des Ateliers d’Art Sacré, cela lui permit d’obtenir ses premières commandes. Nous pouvons retrouver quelques-unes de ses oeuvres dans cette période 1920-1936. Ne connaissant sans doute qu’une partie de celles-ci, nous allons évoquer celles qui nous sont connues, vous laissant le soin de, peut-être, en découvrir d’autres, au gré de vos voyages en France.
Richard Desvallières était un artiste d’une grande culture, qui s’exprima plus particulièrement par la forge, avec des ouvrages plus près de la sculpture que de la ferronnerie. Il était aussi peintre. Je vais encore faire appel à Jean Bernard qui, dans l’hommage qu’il lui rendit, résuma, bien mieux que je ne peux le faire, quel artiste il était :
« Doué pour les arts, nourri de l’éducation exceptionnelle qu’un milieu familial privilégié lui avait apportée, il dessinait, il peignait vigoureusement des toiles qui, par certains traits pleins d’acuité et de grandeur, par l’austérité des tons, rappelait un peu le génie espagnol. Mais dès l’adolescence, il fut attiré par la forge.
Fait bien étonnant, ce fils de grands bourgeois allait se consacrer à l’un des métiers les plus manuels et les plus rudes, et l’aborder en ne retranchant rien d’une application qu’il menait lui-même du commencement à la fin de l’oeuvre. Sans doute y trouva-t-il une correspondance secrète à son être, et une beauté par laquelle la plus âpre des matières s’adoucit et se rend sous le feu et l’effort. »
Richard Desvallières, dès les années 20, d’abord dans le milieu relationnel familial, puis au fur et à mesure que sa notoriété s’affirmait, a travaillé pour une assez nombreuse clientèle particulière. En témoignent nombre de dessins et esquisses de travaux : lustres, rampes, chenets, pare-feu, grilles de balcon, grilles d’intérieur, tables monumentales, consoles et objets décoratifs divers.
Son oeuvre est empreinte de deux courants d’influence. Tout d’abord, celui des Ateliers d’Art Sacré, créés par Maurice Denis et Georges Desvallières, ces ateliers rassemblant des artistes, peintres, sculpteurs, verriers, tisserands. Sa soeur, Sabine, qui avait créé un atelier de broderie, participait aussi à ces Ateliers d’Art Sacré. Mais il devait aussi beaucoup participer aux réalisations de la Compagnie des Arts Français créée par Louis Süe et André Mare et qui allait également marquer son œuvre.
Pour l’exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925, il exposa, dans la chapelle du village français, une table de communion exécutée par l’Ecole supérieure d’apprentissage de Lyon. Avec la Compagnie des Arts Français, il réalisa une console en tôle et fer forgé revêtue d’un plateau de marbre. Une partie de ses œuvres figure en bonne place dans plusieurs ouvrages édités dès 1924.
Tout d’abord, Etude des arts décoratifs contemporains, de Guillaume Jeanneau, 1924, par F. Contet, éditeur à Paris. Y sont présentés un devant de foyer, un guéridon et une console réalisés pour la parfumerie d’Orsay, des lustres avec des cristaux, un écran pare-feu représentant Prométhée enchaîné ainsi qu’une balustrade et une table.
Un autre ouvrage, Le fer à l’exposition internationale des arts décoratifs modernes de 1925, du même auteur et du même éditeur montre les œuvres cités précédemment pour cette exposition. Dans l’ouvrage consacré à la Compagnie des Arts Français et aux décorateurs Süe et Mare, on trouve une grande console réalisée pour le paquebot « Ile-de-France ». Il a d’ailleurs travaillé à d’autres aménagements de bateaux, dont sans doute « Le Normandie », mais ces œuvres ont disparu suite au sinistre du navire.
Dans la série des Contet, Henri Clouzot, conservateur du musée Galliera, dans Ferronnerie moderne, fait figurer une rampe d’escalier ainsi qu’une table et des consoles destinées au couturier Jean Patou. Des ouvrages récents, édités à New-York, reprennent les photos de ces différents travaux.
Dans les années 60, J.-M. Perrin éditeur publie Ferronnerie française et contemporaine. On y trouve une bonne douzaine de ses œuvres au milieu d’autres grands ferronniers de cette période, dont les principaux Emile Robert, Edgar Brandt, Raymond Subes, Gilbert Poillerat, Paul Kiss et Mazurier.
Tous ces ouvrages ont participé à le faire connaître. Nous sommes certains que Richard Desvallières a acquis une réputation internationale. Dans le milieu des connaisseurs de ferronnerie d’art et du marché de l’art, il est considéré comme ayant participé, de façon originale et personnelle, à un renouveau important de la ferronnerie.
Pour en revenir au marché de l’art, bon nombre de ses oeuvres déplaçables se retrouvent régulièrement dans des ventes par le canal des antiquaires, puis sont acquises par de riches collectionneurs, principalement au Japon et aux Etats-Unis. Ce fut le cas de trois belles consoles réalisées en 1924 pour le parfumeur Schlienger, de Grasse, consoles que Monsieur Rousselle chercha à acquérir mais sans pouvoir y mettre le prix.
On peut retrouver, à travers la France, d’autres oeuvres de Richard Desvallières, notamment à Pommiers, dans la Loire, près de Montbrison, où l’église comporte un bel alignement de dix lustres ainsi qu’une table de communion effectués par ses soins, mais aussi à Verdilly, dans l’Aisne, près de Château-Thierry, où il réalisa la grille d’entrée du jardin de l’église.
Maintenant, revenons aux œuvres, que nous qualifierons d’essentielles, et qui se trouvent en des lieux particuliers.
Acy-le-Haut
Comme nous l’évoquions précédemment, il réalisa à Acy-le-Haut une œuvre importante. Vers 1925, André Gosset, le maire du village et son oncle par sa femme, devint son mécène en lui permettant d’exprimer son art dans sa maison.
La pièce la plus importante en est, sans nul doute, le garde-corps protégeant l’accès à la cave, sur le thème de la vigne et d’une journée de vendanges. C’est l’œuvre d’un sculpteur, les personnages représentés sont tous aussi vibrants d’authenticité les uns que les autres, des vendangeurs aux porteurs de hottes, en passant par les fouleurs de raisin ou encore les participants à la fête de fin de soirée, tout aussi évocatrice. Tout y est représenté sur quatre à cinq mètres.
En parcourant cette maison, d’autres surprises nous attendent : dessous des anses de panier des fenêtres, une barre décorée d’oiseaux et d’éléments végétaux servant à la fermeture des volets intérieurs, une autre rambarde sur un palier d’escalier, les barres d’appui des fenêtres à l’étage qui comportent des éléments décoratifs sur le thème des travaux des champs : labours, moissons, vendanges.
A l’extérieur de la maison, un puits et sa grille d’entourage très ouvragée sont également des oeuvres de Richard Desvallières. La forge y est plus classique. Dans un quadrillage, des fers torsadés, des volutes se terminant en feuillage, des enroulements et quelques décors végétaux avec des grenouilles sortant du puits. A l’intérieur, tout un mécanisme permettant de sortir le seau d’eau du puits est lui aussi très travaillé, volutes, enroulements avec chimères et diables.
Bernard le Champagne revient en détails sur la grille de cave. Ecoutons-le :
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Grille de descente de cave à Acy le Haut ( ® André Jonchére ) |
« Cet ouvrage, qui met en scène vingt-quatre heures de vendanges, exige une qualité, une dextérité manuelle hors du commun, accompagnées d’un mental et d’un physique exceptionnels.
Je n’ai pas connu ce maître-forgeron. Quand je suis arrivé sur le Tour de France, le 1er mai 1960, au n° 8 de la rue Littré, à Tours, j’étais au départ d’une nouvelle vie et j’allais de surprise en surprise, tellement ce monde du Compagnonnage était immense avec, en plus, à découvrir la vallée de la Loire, ses châteaux et toute l’histoire qui berçait la Touraine.
Au retour de mon service militaire, je suis reparti sur le Tour de France, à Coubertin (devenue fondation de Coubertin), aux Ateliers Saint-Jacques, dont l’atelier de serrurerie et forge était dirigé par le pays Brossard, Raphaël le Poitevin. J’avais été recruté grâce à ma connaissance de la forge. Nous étions des apprentis étudiants (nous le sommes toujours).
Notre fondateur, Jean Bernard, que nous côtoyions toutes les semaines pour le dessin et l’histoire de l’art, en-dehors des causeries, n’était pas bavard. Il ne m’a jamais parlé de Richard Desvallières. (Diversion : Pendant mon séjour à Coubertin, j’ai eu l’occasion, ayant réalisé différentes pinces pour tenir les creusets, de participer à la première coulée de médailles, en mémoire du baron Pierre de Coubertin, pour son centenaire (1863- 1963)).
Maintenant, parlons un peu du travail accompli par Richard Desvallières. Il est bien difficile de comprendre l’esprit d’un homme de cette trempe, homme hors du commun. Nous allons, pour essayer de le décrypter, choisir deux personnages (homme et femme), d’exception quant au raffinement, à l’élégance et à la délicatesse de l’exécution. On peut les contourner et les admirer devant, derrière et de côté.
La période où cette grille fut réalisée se situe dans les années folles, 1925. Elle fut, dans ce genre de travail, son premier chef-d’oeuvre et, de surcroît, un coup de maître. Pour cette oeuvre, je n’ai pas constaté l’utilisation de la soudure autogène (oxyacétylénique), procédé qui fut mis en service par le ferronnier Edgar Brandt vers 1925 et qui permet de simplifier les tâches tout en obtenant un gain de temps (exemple : les travaux du ferronnier Raymond Subes).
Nous allons analyser ces deux personnages qui dansent au son du tambourin et du bandonéon (petit accordéon de forme hexagonale, en usage pour le tango apparu dans les années 1912, une danse toujours pratiquée mais avec plus de variantes, ce qui la rend plus rapide et sportive).
Dans ce couple qui danse, ce qui frappe, ce sont l’harmonie, l’élégance et la force. Le regard que l’homme pose sur la dame est jubilatoire, cette scène montre que la fête des vendanges marque l’achèvement d’une année de labeur, les occasions de faire la fête se comptent sur les doigts d’une main à cette époque.
Voici comment il me semble que ces personnages ont été forgés. La matière employée était sans doute du fer, que nous appelons maintenant fer doux, l’acier étant plutôt employé en charpente. La section, pour réaliser cette première partie, devait être un méplat de 40x20, avec une longueur d’environ 300 mm.
Ce méplat a été fendu en deux parties égales à chacune de ses extrémités, au ciseau à chaud, avec un taillant en langue de carpe ou à la tranche à chaud ; ce sera la naissance des membres supérieurs et inférieurs. Evidemment, la longueur pour les bras sera inférieure d’environ 30 mm, les bras sont moins volumineux que les jambes. Ici, l’homme a une hauteur finie d’environ 300 mm. Une fois l’opération terminée, les bavures ont été retirées.
La partie non fendue sera la partie du bassin ; cette partie ne sera pas modifiée. Il faut y voir une bonne connaissance de l’anatomie du corps, les proportions sont bonnes, exemple la tête est égale au septième de la hauteur totale ; les bras levés, les coudes sont au niveau du haut de la tête ; les bras et les mains en position de repos arrivent à mi-cuisses. Les formes masculines sont soignées. Sans rentrer dans les détails, l’essentiel y est représenté ; exemple, la main ressemblera à une moufle sans le pouce.
Les membres inférieurs ont été forgés, les cuisses étirées vers les genoux ; le genou est une forte articulation, il est marqué par un pli arrière, sous le jarret, Ces personnages ont les mollets très prononcés avec le bombé à l’arrière, très saillant à l’intérieur et arrondi à l’extérieur, le dessous est étiré pour arriver au talon et au pied. Le talon est marqué par un plat. Une fois les membres inférieurs terminés, les bras ont été forgés, il y a peu de musculature, le coude aussi est fort, puis le bras est aminci vers la main.
‘’ Quand un bon sculpteur modèle des corps humains, il ne représente pas seulement la musculature, mais la vie qui les réchauffe. ‘’ disait Auguste Rodin.
Pour la tête et le torse, Richard Desvallières a dû prendre un carré de 35 et le forger sur la diagonale par épaulements successifs afin de former le visage : nez, menton puis cou. On constate que l’homme a le visage buriné, avec un menton prononcé et carré.
La dame a les traits plus fins et la chevelure est présente. A ce niveau, les choses sont un peu plus compliquées. Quoique… Le visage a été ciselé à l’aide d’outils réalisés à cet effet : ciseau, gouge, poinçon. Pour réaliser un visage, les sculpteurs se servent de pâte à modeler ou d’argile, cela leur permet de définir plus précisément l’expression qu’ils souhaitent lui donner.
Cela me fait penser aux statues monolithiques de l’île de Pâques. Ce sont des sculptures de type mégalithique, d’un seul bloc. De telles dimensions ? On s’interroge toujours.
Cet ensemble tête torse a ensuite été ajusté avec les membres et le tronc par un rivet et un sertissage de la partie triangulaire un peu plus épaisse que l’épaule.
Cette description technique donnera peut-être envie à de jeunes ferronniers forgerons d’oser une forge pure et artistique. Je termine cette fois en vous précisant que cette grille fut délaissée pendant plusieurs années. Elle fut réhabilitée vers les années 1980 par les nouveaux propriétaires et Madame Langaret a eu le mérite de passer bien du temps avec la toile émeri et la brosse métallique pour l’astiquer. Il faut des mains de fée pour naviguer dans ces motifs.
Croyez-moi, tout ce travail accompli donne des nuances de couleur ocre ; le soir, au coucher du soleil, les rayons viennent caresser cette oeuvre, vous baignant dans les couleurs les plus pittoresques de l’automne. C’est à ce moment que vous vivez réellement la scène des vendanges à Acy-le-Haut. On a bien le droit de rêver un peu, non ! C’est du bonheur plein les yeux. Merci encore à Madame et Monsieur Langaret d’avoir ressuscité ce bijou. »
Acy-le-Haut recèle, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, deux autres oeuvres. Une dans l’église du village, il s’agit d’un jubé en fer forgé reliant les deux piliers à l’entrée du choeur, composé de deux arcs ancrés sur les piliers et se développant en volutes et draperies. Au sommet, à la jonction des arcs, un calvaire représentant le Christ en croix, une pleureuse et un soldat romain ainsi qu’une échelle appuyée sur la croix.
En dehors du village, se trouve le monument de la Bretonne de la plaine d’Acy. Il fut réalisé en 1950, conjointement par Richard Desvallières, pour la croix avec l’écusson breton, et le sculpteur Henri Charlier, pour la pleureuse bretonne. Ce dernier, ami de Richard Desvallières, est aussi l’auteur du monument aux morts de Acy représentant un ange. Ce monument de la plaine d’Acy fut érigé à la mémoire des quelques quatre cents morts du 71ème régiment d’’infanterie de Saint-Brieuc tombés lors des combats du 9 au 11 Juin 1940.
Ces victimes furent pour la plupart tuées à Acy même, qui fut l’un des points de résistance désespérée de la bataille de France. Il y eut à peu près autant d’Allemands que de Français tués lors de cette bataille, dont un colonel allemand. Les morts français, laissés par les Allemands, furent retrouvés un mois plus tard, en juillet, dans les blés mûrs !
L’église Sainte-Agnès de Maisons-Alfort .
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Grille de l'église Ste Agnès de Maison Alfort ( ® André Jonchére) |
L’une des œuvres majeures de Richard Desvallières fut réalisée entre 1932 et 1933 à l’église Sainte-Agnès, érigée dans le cadre des « chantiers du cardinal », par l’architecte Marc Brillaud de Laujardière. Dans cette église, on retrouve toute l’étendue de l’art de Richard Desvallières.
Tout d’abord, en arrivant par le pont de Charenton, l’on découvre le clocher, haut de cinquante-trois mètres et surmonté d’une croix forgée de huit mètres de hauteur. Ensuite, l’on admire le portail d’entrée, en chêne sculpté et teinté avec, pour remplissage, huit panneaux en cuivre repoussé représentant les quatre saisons et les vertus théologales.
En entrant dans l’église, l’on trouve, à droite, les fonts baptismaux dont le bassin, en pierre taillée, est surmonté d’un couvercle en fer forgé de forme pyramidale à huit faces en métal gravé ; sur les petites faces sont inscrites les scènes représentées et gravées sur les grandes faces : il s’agit du baptême de Clovis ; du Christ et de Nicodème ; du rocher de Moïse et du puits de Jacob.
Ce baptistère est entouré d’une grille faite d’enroulements en fer forgé, de draperies en tôle repoussée, et de représentation de poissons. Ces différents éléments se retrouvent dans beaucoup d’œuvres de Richard Desvallières. La table de communion, placé à l’entrée du chœur, est l’expression figurative de Richard Desvallières qui, comme au Moyen Age ou sur les calvaires bretons des XVIe et XVIIe siècles, y représente des scènes de la vie du Christ.
Sur le panneau gauche, l’on voit le Christ recevant des mains d’un enfant les offrandes de pains et de poissons, le Christ est entouré de vigne et d’un ange vendangeant. Le panneau droit représente quant à lui des anges moissonnant et portant des gerbes de blé, la vigne servant aussi de décor pour l’encadrement.
Dans le fond de l’église, sur la tribune se trouve un magnifique buffet d’orgue en cuivre repoussé, avec dans la partie basse une lyre et des trompettes et en haut un ange jouant d’une double trompette, accompagné de deux autres anges qui lèvent un rideau découvrant ainsi le tableau des notes.
Il ne faut pas oublier, sur le côté gauche en vis-à-vis des fonds baptismaux, une chapelle dédiée à la Vierge. Cette chapelle est entourée d’une grille forgée et, sous l’autel, se trouve une plaque gravée, en laiton. Encadrée de fer forgé, elle représente différentes scènes de vie familiale et religieuse.
Richard Desvallières a réalisé d’autres oeuvres dans des églises ou chapelles. Il réalisa notamment, lors de la restauration de l’église Sainte-Mathilde de Puteaux, une porte monumentale en alliage d’aluminium dont les panneaux sont en tôle d’aluminium repoussé de 3 mm d’épaisseur. J’ai aussi en ma possession la photographie d’une grille représentant une station de chemin de croix, ne sachant pas s’il s’agit là d’un modèle pour une commande ou de l’une des quatorze stations mises en place dans une église ?
J’allais oublier une autre de ses œuvres, située rue saint-Yves, dans le quatorzième arrondissement de Paris. Dans la chapelle, prise au milieu d’immeubles à loyer modéré des années 30, quartier appelé La Cité du Souvenir, vous pourrez découvrir une grille de communion très simple, avec une barre de fermeture amovible clôturant le chœur.
Sur l’autel, se trouvent, au centre, le tabernacle dont la porte est en métaux repoussés, une croix forgée, puis, de part et d’autre, six chandeliers forgés. Les fresques décorant le chœur sont de Georges Desvallières, père de Richard.
Ferronnier, paysan et vigneron
Richard Desvallières vivait très simplement avec sa famille à Seine-Port, il avait cinq enfants, trois filles et deux garçons. Il partageait son temps entre l’atelier, avec jusqu’à quatre ou cinq ouvriers, ses champs, l’élevage de quelques animaux et sa vigne, il produisait un peu de vin. Le soir, pendant les veillées, il dessinait souvent.
Après 1936, à la suite du Front Populaire et lors des prémices de la guerre, les commandes s’espacèrent. Le mode de vie, simple, de sa famille leur permit de vivre avec les quelques commandes qui arrivaient encore et la production agricole de Richard. Il fut mobilisé en 1939 dans son corps d’armée.
Lors de l’offensive de 1940, il fut fait prisonnier. Ne voulant pas être expédié en Allemagne, craignant les extrémités de ceux qu’il avait combattus en 1914-1918, il parvint, avec un ami, à s’échapper de façon rocambolesque et put rejoindre sa famille réfugiée dans le Limousin.
Fin 1940, en arrivant dans le Lyonnais, il fut nommé « commandant de canton » (poste d’origine militaire) à Saint-Laurent de Chamoussey, dans les Monts du Lyonnais, à environ vingt kilomètres de Tarare où il exerça cette activité post-débâcle difficile à définir, mais concernant sans doute en partie les réfugiés en zone libre.
Durant quelques mois, toute sa famille vécut à Saint-Laurent avant de rejoindre, courant 1941, Oullins où ils allaient vivre dans des conditions très difficiles. Richard étant un évadé, ni lui ni sa famille ne pouvaient en effet revenir dans leur maison de Seine-Port occupée par les Allemands et il lui fallait trouver une activité. C’est à cette époque qu’il a, selon Madame Rousselle, exercé une activité dangereuse dont nous n’avons jamais su la nature exacte. C’est de Oullins qu’il finit par rejoindre Jean Bernard.
Rencontre avec le Compagnonnage
C’est à Oullins, en 1941, que le Compagnon Jean Bernard, La Fidélité d’Argenteuil, le rencontra. Sans doute se connaissaient-ils déjà, étant tous deux issus de familles d’artistes.
Jean Bernard, pour le sortir de ce travail précaire, lui proposa de venir vivre avec sa famille à la Maison de Lyon, rue Tissot, où avaient été posées les bases de l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir. Ce fut un tournant déterminant dans la vie de Richard Desvallières, tant par son attachement aux Compagnons que par sa collaboration au Compagnonnage. Il allait demeurer à cet endroit, avec sa famille, la famille Bernard et d’autres familles jusqu’à la fin de la guerre, en 1945, tout en travaillant pour les Compagnons.
Il collabora ainsi au début du Collège des Métiers en élaborant un cours de forge, écrivit plusieurs articles parus dans le journal Compagnonnage et transmit aussi son savoir aux premiers itinérants de cette Maison, notamment aux forgerons, aux serruriers et aux maréchaux-ferrants.
Jean Bernard demanda alors aux Compagnons Forgerons Serruriers de le recevoir Compagnon car il n’avait plus grand chose à prouver dans son métier, une bonne partie de son œuvre étant réalisée. En 1942, les Compagnons Forgerons le reçurent Compagnon Forgeron Mécanicien du Devoir, sous le nom de Parisien la Bonne Volonté.
Après la guerre, il reprit son activité à Seine-Port, tout en continuant à œuvrer pour le Compagnonnage et, ce, jusqu’à sa disparition.
Les œuvres qu’il a réalisées durant la dernière partie de sa vie sont peu connues, elles doivent orner de riches maisons sur la Côte d’Azur ou à l’étranger. Elles peuvent ressurgir lors de ventes chez les antiquaires ou dans des salles de vente. Son fils Barthélemy, qui est orfèvre, a travaillé un peu avec lui, il se rappelle d’une porte monumentale réalisée pour une banque de Caracas.
Un Compagnon Serrurier, Roger Brassoud, Roger le Savoyard, y travailla quelques semaines dans l’atelier de Seine-Port.
Le lustre qui se trouve dans l’entrée de la Maison de Paris fut réalisé par Richard Desvallières pour un client, mais ce dernier ne le trouvant pas à son goût le lui laissa. Richard Desvallières en fit don aux Compagnons.
Même s’il n’a pas fabriqué lui-même ces œuvres, on lui doit aussi la création de deux œuvres majeures dans nos Maisons : la porte de la Maison de Strasbourg et la rampe de la Maison d’Angers.
La porte de la Maison de Strasbourg .
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Dessin de la porte de Strasbourg paru dans le journal " Compagnonnage " de Janvier 1951 ( ® André Jonchére) |
Elle est l’œuvre des Compagnons Forgerons qui, à partir d’un dessin de Richard Desvallières, réalisèrent cet ouvrage. Cette porte fut inaugurée en 1955.
Il faut relire le numéro de février du journal Compagnonnage pour mesurer l’ampleur de cette œuvre Trois articles y sont consacrés : le premier du Compagnon Jean Bernard, La Fidélité d’Argenteuil, qui évoque nos chantiers et l’investissement des Compagnons dans cette œuvre ; le second, du Compagnon Bris, Parisien la Noblesse du Devoir, qui, sous le titre « Un chef d’œuvre », décrit la genèse de l’ouvrage et les symboles qui s’y rattachent ; un troisième du Compagnon Raymond Poitevin, Raymond le Poitevin, qui développe dans « Une œuvre de vie » l’aboutissement de la construction de la Maison de Strasbourg dont la porte est un des symboles.
Cette Maison sera inaugurée quelques mois plus tard en grande pompe, le 18 septembre 1955, par Paul Bacon, le ministre du Travail de l’époque, et en présence de Claudius Petit, un homme ayant beaucoup soutenu l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir à ses débuts.
A cette occasion, il faut citer l’un des artisans de la construction de cette porte, André Bousquières, Albigeois la Fermeté, qui fut reçu Compagnon Fini pendant cette inauguration. Avec les Compagnons Forgerons, il réalisa cette porte représentant plus de 2 000 heures de travail.
La rampe de la Maison d’Angers .
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Départ de rampe de la maison de la Baumette d'Angers( ® André Jonchére) |
C’est après la disparition de Richard Desvallières que deux Compagnons vont réaliser cette rampe d’après ses dessins. Ces deux Compagnons sont l’un forgeron, André Bousquières, Albigeois la Fermeté, qui a, nous l’avons vu, déjà exécuté la porte de la Maison de Strasbourg, l’autre maréchal-ferrant reconverti en forgeron serrurier, Auguste Moreau, Angevin la Clé des Cœurs.
Cette rampe, d’un seul tenant et d’une longueur développée de trente mètres, a nécessité plus de trois tonnes d’acier doux et a demandé près de dix tonnes de charbon pour forger les deux cent cinquante mètres de fer plat. Sa beauté est due à la simplicité de ses lignes et à l’envolée que donne une suite de boucles formant la frise, tout cela malgré des sections et des volumes de métal important.
Angevin la Clé des Cœurs décrit très bien le travail qu’a demandé la réalisation de cette rampe dans le livret « Aux couleurs du Compagnonnage » consacré à la construction de la Maison d’Angers.
Les bracelets de Mère .
Richard Desvallières réalisa trois bracelets de Mère, ce qui dut être difficile pour lui étant plus habitué à la grosse forge qu’aux travaux plus fins, mais, pour la création, les Compagnons pouvaient lui faire confiance.
Le premier fut réalisé pour Madame Marguerite Duguet, Mère de Lyon, en 1947. Il est d’une conception très simple, en forme de fer à cheval fermé, les blasons sont accrochés sur la périphérie. Le second, pour Madame Jeanne Servant, Mère de Paris, représente une chaîne qui paraît très rude.
Il est complètement articulé, les blasons sont aussi suspendus. Le troisième pour Madame Germaine Senger, Mère de Strasbourg, représente des cannes enserrant les blasons en quadrillage, ces blasons sont sertis.
La collaboration de Richard Desvallières
au journal Compagnonnage .
Dès 1941, Richard Desvallières commença à écrire pour notre journal. Ces différents articles portaient en premier lieu sur la serrurerie et la ferronnerie : d’abord Enquête sur le chef-d'œuvre : des Ferronniers, paru en décembre 1941, puis Serrurerie et ferronnerie, une série d’articles parus sous quatre numéros à partir du mois de mai 1942 où il résume l’histoire du métier, de l’antiquité à l’art déco. Il était admiratif d’Emile Robert qui, au XIXe siècle, révolutionna l’approche artistique du travail du fer.
En 1943, il fit plusieurs conférences, dont deux Le travail du fer : le matériau et Forge, serrurerie, ferronnerie furent ensuite reproduites dans le journal. Il aborda aussi dans Compagnonnage un grand nom de la ferronnerie, Jean Lamour, serrurier de la ville de Nancy avant de devenir serrurier ordinaire de Sa Majesté le roi de Pologne .
Dans un autre article intitulé Evolution et constance de la décoration dans la serrurerie, il traitait des différents motifs entrant dans la composition des grilles, des garde-corps et des rampes d’escalier au-travers de différentes époques. Voici reproduite une partie de sa conclusion résumant bien son esprit :
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Lustre de la maison de LYON ( ® André Jonchére)
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« Pourtant la technique, seule, n’aurait pas apporté cette transformation dans l’expression ou donné des styles si différents si les esprits n’avaient pas vu le monde à travers un autre miroir : au Moyen Age, la vision était beaucoup plus morale qu’intellectuelle (selon la façon dont est employé aujourd’hui ce mot) d’où une plus grande part laissée à l’arabesque et aux inspirations tirées de la nature ; au XVIIème siècle, moral et mental s’équilibrent en une ordonnance plus humaine que mystique.
Est-on serrurier ? On travaille le fer. Mais on l’œuvre sans s’offusquer de ce que certaines réussites donnent l’aspect du bronze ou de la fonte ou d’une autre matière.
La nature se laisse bien encore copier, mais à condition de s’intégrer au mythe qu’on en a tiré. Enfin l’expression humaine n’est plus seulement prise en elle-même, mais dans ce que l’homme a apporté dans ses œuvres. On joue encore de la lumière, mais on y mêle la sienne par les différentes couleurs d’or dont on enrichit ses travaux.
On voit là l’évolution qui conduit au pont métallique (déjà dépassé), fruit d’une certaine science très pure à sa façon, et d’une sidérurgie monstrueuse. Le moral ici n’a plus rien à dire, le matérialisme l’emporte ; on ne s’inspire plus de la nature : on la viole.
.. Lors donc qu’on veut agrémenter l’utile, embellir le nécessaire, il faut mettre premièrement en rapport sa technique et son inspiration et ne pas oublier que, plus la technique sera particulière au fer (plus elle se rapprochera du feu et du marteau), plus l’inspiration sera guidée et l’œuvre réalisée, humaine.
Quelques-uns prétendront alors que l’utile et le nécessaire en souffriront : si oui, ce sera dans le sens qu’une jolie « coiffeuse » Empire est moins rationnelle qu’un gros appareil à indéfrisable. Aussi nous consolerons-nous, car les belles ne surent pas moins plaire sous Napoléon 1er qu’aujourd’hui. ».
Il écrivit au total une bonne trentaine d’articles ou séries d’articles, aux sujets très variés tel que : Point de vue sur l’apprentissage ; Un maître de la menuiserie : Roubo fils ; Georges Jacob, sa vie, son œuvre, son temps ; Le collège des métiers des Compagnons du tour de France : Mise au point, article sur l’assemblage de la main et de la pensée nécessaire à la transmission et le besoin d’un lieu de recherche et de réflexion pour les métiers ; puis Les femmes dans le Compagnonnage, évoquant la mère et la famille, mais se trouvant encore bien loin de l’arrivée des femmes de métier aujourd’hui.
Il développa aussi une série d’articles sur L’évolution de la carrosserie : de la route à la roue ; il continua par un thème lui tenant à cœur Origine et lente évolution de l’outillage agricole, on voit là encore l’étendue de sa culture ; puis Les chefs-d'œuvre de l’horlogerie ou encore Défense du vrai matériau. De l’art sacré aux arts sacrés.
Il abordera encore beaucoup d’autres thèmes tels que Le travail et la civilisation, une série d’articles écrits par Hyacinthe Dubreuil et extraits d’un ouvrage édité. Il revint sur ce thème par une série de réflexions, ayant pour titres : Le songe d’une nuit d’été ; Le moindre effort ; Travail en famille ; puis un complément Post-scriptum.
Il écrivit aussi sur des sujets en apparence plus légers. Ainsi, avec beaucoup d’humour et une certaine philosophie, il développa ce titre étonnant Du cochon de Léon Bloy à l’alouette de Joubert. Dans un autre article Ni politique ni religion, il revient sur cet aspect de nos statuts.
Il parle aussi de la guerre 14-18 à laquelle il participa, là où tous les combattants étaient égaux à la vie à la mort, la politique et la religion ne représentant pas grand chose dans cette communauté. Il revint sur la guerre dans Le devoir et la patrie où il évoquait la guerre d’Algérie et son attachement à la patrie.
Son dernier article pour Compagnonnage est intitulé Le bonheur. Il y aborde les différents efforts et l’abnégation pour y parvenir. Pour l’édition du livre d’Abel Boyer, « Périgord Cœur Loyal », Tour de France d’un Compagnon du Devoir, il réalisa les illustrations, un autre de ses talents.
Je terminerai par une poésie nous montrant sa sensibilité, extrait de l’article écrit en octobre 1946 Jules Pluchon forgeron et poète. Cette poésie résume un peu qui était Richard Desvallières.
Pendant plus de trente ans j’ai lutté sans relâche
Pour façonner le fer sous les marteaux pesants
Mais je le sens enfin, j’ai terminé ma tâche
Je dois céder, hélas accablé par les ans.
A ce rude métier, j’ai travaillé sans plainte
Il a donné du pain à mes enfants nombreux
L’hiver pouvait venir, je le bravais sans crainte
Mon pénible labeur les rendait tous heureux.
Adieu mes chers amis, mon soufflet, mon enclume
Adieu mon vieil étau, mon atelier noirci
Ma forge qui le soir comme un phare s’allume
Adieu vous qui faisiez ma joie et mon souci.
Le matin quand la voix de la cloche sonore
Appelait dans les champs les vaillants travailleurs
J’étais déjà debout près de vous dès l’aurore
Et les jours d’atelier étaient bien les meilleurs.
L’aube ne verra plus les rouges étincelles
Jaillir sous mon marteau qui frappait tour à tour.
C’est en vain que viendront les semailles nouvelles.
Je ne forgerai plus l’instrument du labour.
Bien des nuits de sommeil ont troublé mon front blême.
Mais si vous m’aviez vu morose et faiblissant,
N’étais-je pas joyeux quand la muse que j’aime
Venait à mon foyer se chauffer en passant.
Sa présence rendait mon bras plus énergique.
Je forgeais en chantant des outils et des vers.
Et j’aimais bien plus, cher atelier rustique
Toi qui m’as fait braver les jours les plus amers.
Jules Pluchon forgeron
D’autres vers de Jules Pluchon illustrent cet article montrant l’attachement de Richard Desvallières à la terre, à la vigne, au travail, à la forge et, aussi, à sa famille.
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André Jonchère
André le Nantais
Compagnon Serrurier du Devoir : chambre de Nantes
Bernard Ballet
Bernard le Champagne
Compagnon Serrurier du Devoir : Chambre d'Angers
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Source : André le Nantais et Bernard le Champagne
Crédit photos : André le Nantais
Texte d'introduction et mise en forme : JP